Comment Philosopher en Islam - S. Bachir Diagne

Ci-apres, un compte rendu du livre de Souleymane Bachir Diagne Comment Philosopher en Islam que nous propose Mahamadou Lamine Sagna, enseignant/chercheur Princeton University, NJ, USA

Dans son livre Comment Philosopher en Islam (Paris, 2008 Edition Panama), Souleymane Bachir Diagne célèbre la consistance philosophique de l’Islam. Aux antipodes de tous ceux pour qui l’Islam n’est qu’un simple dogme, Diagne entend démontrer l’inspiration philosophique dans la tradition islamique.

De Abu Hanifa à Iqbal, en passant par Hassan al-Basri, Avicenne et à Averroès, le Professeur Souleymane Bachir Diagne prend acte des différents dialogues dans la tradition islamique, et convoque les auteurs contemporains comme Benveniste pour penser l’Islam dans sa fonction philosophique (voir chapitre comment une langue devient philosophique). Mais lorsque le Professeur Diagne prend appui sur les pensées philosophiques occidentales ou sur les formes contemporaines de la logique, c’est pour mieux inscrire celles-ci dans les voies de la tradition philosophique islamique. Toutes les réflexions de l’auteur (sur le tafsir, le kalam) constituent la trame à partir de laquelle se donne à voir les démarches dialectiques voire l’« hybridation de la langue » comme il le dit lui-même. On peut dire que c’est en réinscrivant les « dialogues » de musulmans dans la longue durée que Diagne nous invite à saisir la dimension, l’articulation et le dynamisme philosophique de l’Islam.

En effet, comment reconquérir la raison à partir de la tradition islamique ? Comment reconquérir le temps ? Pour mieux traiter toutes ces questions qui sont sous-jacentes au thème de la fidélité en Islam, Diagne s’interroge et nous incite à réfléchir sur les objets, les textes, les récits inscrits dans la tradition musulmane. Au fond, « s’agit – il encore de philosophie si l’on commence déjà par se donner le Dieu unique du monothéisme, avec une révélation dont on accepte qu’elle provient de Lui avec tout un ensemble de croyances découlant de cette acceptation ? » s’interroge t il.

Il y donne un début de réponse en arguant « de même que saint Augustin ou saint Thomas d’Aquin sont philosophes et chrétiens, Avicenne, Averroès et d’autres sont philosophes et musulmans ». Il peut arriver poursuit-il que : « le malentendu sur le sens de l’expression conduise à un rejet de la part de ceux qui jugent que philosopher en Islam fait la place bien trop belle à bien trop d’infidèles. »

De notre point de vue, l’intuition centrale de l’auteur consiste à nous faire saisir comment les contradictions dans l’interprétation de l’Islam ne dénotent pas une discontinuité mais une continuité latente.

Pour l’auteur de Comment philosopher en Islam, l’articulation, ou si l’on préfère l’unité active de la religion musulmane, est un préalable à toute détermination de points de vues différents. Outre que cette unité est une dimension dépliée du Coran, elle est le lieu de la sommation des contradictions (fidélité/infidélité). Ainsi, dira t on que dans cette dialectique de « l’un et du multiple », le musulman peut vivre « laïquement dans des multiplicités infinies du réel » comme dirait le philosophe Alain Badiou. C’est une procédure qui exige du courage dans un monde fanatisé. (Voir les chapitres L’obligation de philosopher et Le besoin de philosophie.)

Certes, dans le contexte international actuel où on note des tensions et des difficultés économiques énormes, y compris pour les populations musulmanes, il est difficile de philosopher en Islam, mais la mission de tout être est d’exiger la possibilité de philosopher même en face de l’impossible. On ne peut pas fonder la pratique philosophique à partir d’une injonction d’infidélité ou de fidélité absolue. Vivre c’est philosopher qu’on le veuille ou non ; c’est une dimension éternelle dans l’humain. De ce point de vue le livre de Souleymane Bachir Diagne nous aide à vivre notre Islam.

Nous sommes certains que ce livre constituera, pour les historiens, une source extra ordinaire de documentation islamique. C’est un livre dont les mathématiciens se délecteront puisque l’auteur lui-même effectue une sorte de mathématique où le continu latent met à mal les discours sur la discontinuité dans l’Islam.

Aux sciences sociales, ce livre contient une proposition méthodologique : partir de la structuration de l’islam pour se créer des espaces de questionnement. Aux sociologues et anthropologues, être musulman, apprend-on du livre, ce n’est pas simplement exister socialement ou culturellement comme simple consommateur, mais, c’est aussi être capable d’utiliser des filtres philosophiques, L’importance de ce livre dans les études religieuses est évidente.

Pour finir, notre question au Professeur Diagne et à ses collègues philosophes, est celle de savoir si l’intrication temporelle et l’étalement spatial de l’islam, nous donnent encore la possibilité de philosopher en islam ?

Sûrement nous serons saturés par les réponses à cette question, puisque ce livre fera l’objet de plusieurs table rondes, de thé –débats, comme on le dit au Sénégal. En attendant, ce livre, d’une puissance rare, doit être parcouru scrupuleusement. On doit le déplier délicatement, en prêtant attentions aux articulations.

J’invite tous les lecteurs de Seneweb à se le procurer, car c’est le genre de livre que l’on consulte plusieurs fois dans sa vie.

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