Religions en entreprise : est-ce si sorcier ?

Sujet délicat à l’horizon : « Comment l’islam s’est-il installé historiquement dans l’entreprise ? Quelle visibilité et quelles pratiques de cette religion sont tolérées dans l’espace public de l’entreprise ou sur le lieu de travail ? Comment gérer les religions dans le monde des entreprises ? » Il fallait bien oser en parler. L’IISMM* lance le débat et propose des solutions pratiques. Une matinée-conférence est prévue pour mercredi 30 septembre. Avant de nous y rendre, petit tour des motivations qui ont expliqué le choix de ce projet, avec Yasmina Dahim**, organisatrice de la rencontre et responsable de la formation continue à l’IISMM.

D’où vous est venue l’initiative de cette formation à la « gestion des religions dans le monde des entreprises » ?

C’est un projet qui mûrit depuis quelques années déjà. En 2006, j’ai été contactée par Veolia Transport France, qui s’inquiétait du comportement de certains conducteurs de confession musulmane, convertis pour la plupart. Les cinq prières quotidiennes, les horaires de Ramadan, le refus de faire la bise aux femmes, la demande de salle de prière ... Veolia se demandait comment s’y prendre pour qu’il n’y ait pas dysfonctionnement au sein de l’équipe : fallait-il suivre l’exemple de Peugeot, qui avait aménagé une salle de prière pour ses employés musulmans l’année précédente ?

Avant de me joindre, la société avait appelé la Grande Mosquée de Paris, qui s’était contentée d’un : « C’est délicat, on ne peut pas répondre. »

Moi-même, je considère que nous devons apporter non pas une réponse purement théologique, mais des éléments d’ordre pratique et organisationnel. La question n’est pas de savoir si « l’islam est bon ou non ». Ce doit davantage être une démarche scientifique.

L’idée a fait son chemin. J’ai alors contacté Moussa Khedimellah, doctorant à l’EHESS et chargé de mission dans le développement durable. Il a notamment publié un article très intéressant, sur l’« Islam industriel ». Patrick Bon, avec son ouvrage Dieu et l’Entreprise, m’a aussi convaincue de passer à l’action.

Nous avons alors monté une session de fondamentaux, intitulée au départ « Gestion de l’Islam dans le monde de l’entreprise », mais nous nous sommes vite rendu compte que l’islam n’était pas le seul concerné. Il fallait nécessairement s’intéresser aux autres religions, dont le mouvement évangélique, qui est de plus en plus présent dans les entreprises.

Quels sont les challenges à relever ?

Cette matinée-conférence souhaite concilier les demandes religieuses avec l’impératif professionnel. Elle s’inscrit dans le cadre d’un partenariat privilégié avec le Centre national d’étude et de formation (CNEF), entamé depuis près de cinq ans sur des sujets d’actualité (femmes et islam, économie islamique, etc.). Inès Dauvergne, de l’IMS-Entreprendre pour la cité, sera aussi parmi nous. L’IMS a publié un guide pratique tout à fait intéressant et qui sera mis en vente : Gérer la diversité religieuse en entreprise.

La matinée s’articulera autour de trois interventions, suivies de débats. Ce genre de manifestation nécessite un travail de prospection important : je suis chargée d’identifier les intervenants les mieux placés pour répondre aux interrogations. J’aime solliciter également les jeunes chercheurs, doctorants ou post-doctorants. On ne se rend pas compte combien ils sont un vivier de connaissances ! D’une part, cela leur es un très bon exercice de préparation ; d’autre part, cela leur permet de faire connaître leurs travaux. Bref, le projet est une action de mission publique en tous points !

Quels sont les publics visés ?

Le monde du travail dans son ensemble est concerné. Je travaille par ailleurs en collaboration avec le ministère de l’Intérieur. Il est important pour les agents policiers de disposer de repères, et ils sont très nombreux à s’intéresser à la question de la gestion religieuse. Le milieu carcéral aussi. Lorsqu’un gardien de prison marche par mégarde sur le tapis de prière d’un détenu qui se met alors à s’énerver, comment réagir ? Ce genre de mésaventure arrive par ignorance, par des incompréhensions mutuelles qui pourraient aisément être évitées.

Notre public est très vaste. Il comprend des collectivités locales et territoriales, le secteur social, l’Éducation nationale, la Défense et le grand public. Nous avons aussi adressé des invitations aux groupes Auchan, Carrefour et Casino, qui ont retourné des réponses très positives. Organiser une journée pour un public multicatégoriel et hétérogène est très complexe. C’est un véritable challenge que de répondre aux besoins spécifiques de chacun des participants de cette conférence. Je suis très optimiste quant aux résultats que cette matinée de formation va donner !

* IISMM : Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman, centre rattaché à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales).
** Yasmina Dahim est spécialiste du monde arabo-musulman et responsable de la formation continue à l’IISMM. Elle exerce, par ailleurs, les fonctions d’aumônier au sein de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

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